Photographie engagée
Vous avez dit engagée ? Il m’arrive encore de douter sur l’utilisation de ce terme. N’est-il pas galvaudé ? Ou pire, n’a t-il pas perdu son sens militant, incisif, pour venir estampiller des formes d’expression artistique dénuées de sens ?
« L’engagement traverse l’ensemble de la programmation de cette 56e édition », lit-on dans le programme des Rencontres d’Arles. Voici ce que j’en ai retenu.
Partant de Paris pour vivre l’ouverture des Rencontres, je réalise dans le train, que pour la première fois je m’y rends sans préparer mon parcours d’expositions. Sur place, je me suis laissée guider par mon instinct et suivi des conseils glanés au fur et à mesure. Au-delà des grandes expos et figures emblématiques à ne pas louper (Letizia Battaglia, Nan Goldin, Louis Stettner, Yves Saint Laurent et la photographie,…), voici ma petite sélection personnelle et non exhaustive, bien entendu !
Le Brésil à l’honneur
Comme le Brésil est à l’honneur cette année, nous avons eu la joie de voir des archives et des œuvres contemporaines brésiliennes. Je note ici les expositions qui me paraissent importantes.
CONSTRUCTION, DÉCONSTRUCTION, RECONSTRUCTION Photographie Moderniste Brésilienne (1939-1964) à La Mécanique générale, remet à l’honneur la création expérimentale du club photo FFCB (Foto Cine Clube Bandeirante) et redonne sa place à la photographie brésilienne dans l’histoire. Brillamment curatée, cette exposition présente des photogrammes, photomontages et autres interventions sur tirages et négatifs des pionniers modernistes Geraldo de Barros, German Lorca, José Oiticica Filho, Thomaz Farkas et Gertrudes Altschul (un nom qu’il ne faut pas oublier!).
RETRATISTAS DO MORRO, Reflets de la communauté de Serra, Belo Horizonte (1970-1990) à la Croisière. Ce projet conçu en 2015 par l’artiste Guilherme Cunha, utilisant un corpus de 250 000 archives photographiques, propose une réflexion sur les transformations de notre regard à travers la mise en valeur de cet héritage culturel. Les photographes João Mendes et Afonso Pimenta documentent la vie et les souvenirs des habitants de la communauté de Serra, l’une des plus grandes Favelas du Brésil située à Belo Horizonte. Cette expo a fait appel à mes souvenirs d’enfance en Équateur, une esthétique colorée, des portraits au flash. Ça a été également le cas des collègues latino-américain•es croisé•es pendant cette semaine d’ouverture. Souvenir vivant.
Mémoire collective
C’est une sélection qui s’engage vis à vis de la mémoire collective et de la société contemporaine. Pour vous donner deux exemples :
FUTURS ANCESTRAUX : SCÈNE CONTEMPORAINE BRÉSILIENNE, à l’Église des Trinitaires, nous présente des artistes visuels (photographie, vidéo et collage), traite du Brésil contemporain à partir d’archives visuelles, dénoncent préjugés, racisme et colonialisme de la société brésilienne contemporaine.
ON COUNTRY : PHOTOGRAPHIE D’AUSTRALIE, à l’Église Saint-Anne, nous découvrons, par exemple, de magnifiques visages sur plaques photographiques de Brenda L Croft, accompagnés d’un enregistrement d’une chorale très émouvant. Après deux siècles de colonisation, la photographie s’éloigne de la documentation ethnographique et à travers des histoires collectives et individuelles des Premières Nations. Elle devient un reflet de la réalité pour s’autodéterminer et imaginer des futurs possibles.
Mémoire familiale
Quand la photographie s’engage à faire le lien entre l’évènement intime et l’universalité des rapport familiaux.
FATHER, à l’espace Monoprix, de DIANA MARKOSIAN, est l’expo qui je crois a bouleversé tout le monde.. J’ai vu des gens s’essuyer littéralement les larmes devant une vidéo ! La documentation des retrouvailles entre une fille et son père après 15 ans de séparation et de questions restées sans réponse est très touchante. Entre vidéo, photographies et archives, cette installation part d’un fait d’histoire familial et nous amène à la question existentielle des rapports père-fille. Comment recréer du lien après des années d’absence ?
ALMA, salle Henri Comte, exposition de KEISHA SCARVILLE, m’a touché par son sujet et par la forme. Je dirais que c’est mon coup de cœur. La photographe afro-américaine présente une série intime et esthétiquement forte. Elle invoque la présence de sa mère décédée à travers une travail hyper-graphique et la matérialité des vêtements maternels. Des auto-portraits où l’absente est davantage présente que la photographe elle-même. avec une dimension spirituelle incroyablement touchante par leur fragilité.
Après ces 5 jours d’ouverture, partie sans à priori, mais toujours dans l’expectative d’être éblouie, je me retrouve apaisée, rassurée de voir que les commissaires et les artistes sont toujours prêt•es à nous bousculer, à nous rappeler l’importance de l’image dans la mémoire collective. C’est un engagement en soi que de vouloir bousculer les esprits endormis !
Cette année, la sélection des Rencontres d’Arles met en avant, et à bon escient, la diversité des points de vue, des sujets, des cultures, de genres, des réalités du terrain, et aussi des émotions. Une sorte de résistance face aux nationalismes, aux atrocités quotidiennes et à la crise climatique de plus en plus réelle. Si vous en avez l’occasion cet été, passez par Arles, car il est plus que vital et rafraîchissant de prendre un peu de perpective. Il est essentiel de réaliser que le travail personnel d’un•e artiste peut avoir un véritable impact dans nos imaginaires et la société que nous souhaitons construire ensemble.
Bonnes Rencontres !