Presse & IA

Photojournalisme en péril ?

Dans le photojournalisme, on se focalise sur la véracité des images. Il faut certes composer avec le regard du photographe, le cadrage, les réglages qui sont des choix personnels, donc des partis pris, à l'instant de la prise de vue. Mais on demande zéro retouche, si on veut faire partie de ce milieu très prisé du reportage photo ou documentaire.

Certes, l'image a depuis toujours été manipulée. Dès les prémices de la création visuelle, en peinture notamment, la perception humaine modifiait la réalité. Ne parlons pas de l'égo personnel, d'un pouvoir, d’une religion à maintenir, de la propagande… Nombreuses étaient les raisons pour altérer la réalité dans les œuvres visuelles.

Pour autant, « honnêteté, responsabilité, exactitude, vérité » sont les maîtres mots des codes de déontologie du photojournaliste. Une ligne de conduite parfois franchie. Qu’en sera-t-il avec l’arrivée des images générées par l’IA ?

• À l'automne 2021, le photojournaliste Jonas Bendiksen a volontairement dupé tout le gratin du photojournalisme au festival Visa pour l'image, en proposant un reportage photographique monté de toutes « The Book of Veles », des hackeurs en Europe de l'Est. Personne n'a pensé à remettre en question la véracité des images, ni leur légendes, également générées par l'IA. Il a dû lui-même révélé la supercherie pour lancer le débat.

• Le 4 avril 2023, le photographe Michael C. Brown, connu pour ses reportages au National Geographic, bouscule le monde de la photo avec son projet « 90 miles » qui illustre la diaspora cubaine sous Castro. Toutes ces images ont été générées par l'IA et ont pour but d'illustrer une période qui n'a pas pu être documentée. Le but de Michael C. Brown étant « d’engager un débat public sur la pertinence d’un tel travail, lorsqu’on est avant tout soucieux de rapporter la réalité et la vérité des faits par l’intermédiaire des images ».

C'est un sujet dont il faut effectivement parler. Ces deux exemples mettent en avant le fait que les images paraissent réelles car elles répondent aux idées préconçues de ceux qui les regardent : en Macédoine, la solitude et tristesse urbaine d'un pays de l'Est, à Cuba les couleurs, la pauvreté, les visages bruns. Stéréotype, quand tu nous tiens.

Une réalité économique

En plus du débat de la véracité des images, l'IA aura forcément un impact sur le métier du reporter-photographe. En effet, si l'on prend en compte la santé économique actuelle des médias et de la presse, on comprend vite que la profession est particulièrement précaire. Certains médias préfèrent déjà illustrer un article par une image générée par l'IA, afin d'éviter un coût qui paraissait normal jusque-là.

Les règles inocographiques vont évoluer dans la presse qui est de plus en plus sous tension économique. Est-ce que l'on fera encore appel à une équipe créative, un photographe, une mannequin alors q'une image peut être désormais générée en quelques minutes et à moindre coût? Va-ton se passer du budget d’une grande équipe, comme cela a été fait par exemple pour la première Cover de mag Cosmo générée par l'IA ?

La marque Undiz a récemment provoqué une vague de critiques sur Instagram en dévoilant deux images IA de sa dernière campagne de pub. La Directrice marketing de la marque a cependant avoué que cette campagne a soulevé un bon nombre de débats éthiques et légaux en interne. Ils ont pourtant préféré faire appel à l’IA par crainte d’une difficulté à la réalisation. Les photographes spécialisés dans la photographie sous l'eau s'insurgent de ne pas avoir eu l'occasion de leur montrer que c'était largement faisable et en mieux.

Loin d'être contre l’IA, en ce qui concerne les outils nous servant d'assistant, je reste alerte sur les potentielles dérives informatives, éthiques et légales dans le domaine de la photographie. Comme toute avancée technologique, l’IA mérite d’être questionnée et critiquée. Affaire à suivre.

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